Roumanie, 2019
Arad, Timişoara
Il y a trente ans exactement, l'Europe vivait de profonds soubresauts. En Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en RDA, les gouvernants ne pouvaient plus faire face à une situation économique dégradée. L'empire soviétique s'effondrait.
La Roumanie fut un des derniers pays de l'Est à s'ouvrir au monde. Ce fut de manière spectaculaire et même très violente. Fin décembre, un peu avant Noël, le dictateur Ceauşescu était exécuté par ceux qui avaient pris le pouvoir après une révolte populaire. Les dictateurs qui meurent dans leur lit se comptent sur les doigts de la main... les révolutions qui survivent à la manipulation et à la récupération aussi.
Sur les rives de la Bega
Timişoara est une vieille ville « autrichienne » du Banat. C’est une cité riche par sa culture et son histoire, par sa diversité culturelle aussi. Timişoara était une des rares villes où la population roumaine pouvait avoir des informations venant d’ailleurs, notamment grâce à la réception des radios yougoslaves.
C’est à Timişoara que débuta la « révolution » roumaine, « quelques heures moins le quart » avant Bucarest.
En allant à Timişoara, j’avais surtout envie de revoir cette ville superbe que j’avais visité à plusieurs reprises. Et puis voir comment, 30 ans plus tard, on commémorait cette révolution qui m’avait fasciné m’intriguait.
Timişoara a été choisie pour être « capitale européenne de la culture » en 2021, avec la ville grecque de Elefsina. Il est difficile d’estimer ce qui reste de culture vivante sur les rives de la Bega.
Les années qui ont suivi la chute de la dictature ont vu fuir les communautés hongroises, allemandes, juives… qui contribuaient à la richesse de Timişoara.
La préservation et la rénovation d’un patrimoine architectural incomparable n’était pas non plus la priorité d’une population qui avait été privée si longtemps et qui aspirait à rejoindre les standards européens. Comme des linceuls, d’immenses toiles couvrent les bâtiments pour protéger des chutes de pierres, tandis que d’immenses malls attirent en périphérie le flux de consommateurs.
La défiance des commerçants indépendants à l’égard des grandes enseignes de la distribution (dont certaines sont françaises) est très perceptible.
Dans les méandres du Mureș
Bien que très proche de Timişoara, et située dans la même région du Banat, Arad est très différente. La première doit sa réputation au commerce, la seconde à ses industries. Arad est moins peuplée et la notoriété de ses universités n’est pas comparable.
Lorsqu’on arrive, depuis la gare routière de Pletl vers le centre, les ruines industrielles laissent un goût amer de désolation.
J’ai eu la chance d’être conduit par un chauffeur de taxi beaucoup plus âgé que moi. Sur cinq kilomètres il m’a conté l’histoire industrielle de la ville.
Arad a été le siège d’usines prestigieuses. Celles-ci produisaient des locomotives, des meubles ou encore des vêtements qui étaient exportés dans tout le Comecon. Qui se souvient du « Comecon » ?
De ces usines, il ne reste pas grand chose. Peu d’entre elles avaient les moyens financiers de rivaliser avec leurs concurrentes occidentales. La zone industrielle Ouest d’Arad est aujourd’hui faite de terrains vagues où l’on peut encore admirer quelques pépites de l’architecture industrielle des XIXe et XXe siècles avant qu’elles ne sombrent définitivement dans l’oubli.
Au premier abord, Arad semble ingrate. Elle est difficile à percevoir le long d’une artère interminable. Elle recèle pourtant de nombreux trésors à tout péripatéticien, qui saura se laisser guider par l’inspiration et le goût de la découverte.